Le précieux héritage d’Andrew Fuller (Michael Haykin)
Dans son imposante biographie de William Wilberforce (1759-1833), William Hague souligne que l’une des plus grandes joies de ce grand abolitionniste était ses amitiés et que c’était pour lui une règle établie qu’il « ne devait jamais manquer une opportunité de se rapprocher d’un homme bon ou utile[1] ». Cela signifiait, comme l’ont plus tard observé ses fils, que sa maison était « rarement sans invités »; alors que certains de ceux-ci arrivaient assez tôt le matin pour y déjeuner, tous ces gens devenaient une occasion pour Wilberforce d’exercer ses remarquables talents de communicateur[2]. L’un des invités que Wilberforce accueillait chez lui était le théologien baptiste Andrew Fuller (1754-1815), dont Wilberforce admirait grandement les aptitudes pour la théologie[3]. Un jour, après avoir appris l’arrivée de Fuller, Wilberforce s’empressa de le présenter à l’un de ses fils en lui disant : « Connais–tu Andrew Fuller? ». « Non, je n’en ai jamais entendu parler » fut la réponse. « Alors tu dois le rencontrer, a dit Wilberforce, il est un homme extraordinaire dont les talents l’ont relevé d’une bien piètre condition. » Par la suite, Wilberforce a écrit, dans son récit de la visite de l’auteur baptiste, qu’il était « un homme d’une force intellectuelle considérable » mais arborant « très simplement le vestigiaruris (les empreintes de la rusticité) » car il « ressemblait en tout point à un forgeron[4] ». Comme le disait la description de Wilberforce, Fuller n’avait pas d’éducation formelle, à part de savoir lire et écrire. Cependant, ses talents et la grâce de Dieu lui ont permis de devenir, comme l’a dit Charles Haddon Spurgeon (1834-1892), « le plus grand théologien (baptiste) du dix-neuvième siècle[5] ».
Ce qui a suscité tant de louanges de la part de Wilberforce et Spurgeon, ce sont les livres écrits par Fuller, comme par exemple, son habile réfutation du déisme, cette expression quintessentielle de la pensée illuminée de Dieu. Ou encore cette réponse biblique solide à l’hyper-calvinisme de son époque, qui avait joué un rôle dans la dévastation de beaucoup de communautés anglaises baptistes durant le 18esiècle[6]. Ce dernier a à son tour conduit à l’implication grandissante de Fuller comme secrétaire de ce qui sera ensuite appelé la Société Missionnaire Baptiste, dont le missionnaire le plus connu a été William Carey (1761-1834), l’un des plus proches amis de Fuller. En fait, comme l’a observé le Missiologiste Harry R. Boer, « l’insistance de Fuller sur la responsabilité de tout homme en tout lieu de croire en l’Évangile» qu’il a exposé dans ses ouvrages contre l’hyper-calvinisme, « a joué un rôle déterminant dans la cristallisation de la vision missionnaire de Carey[7] ».
D’autres diraient cependant que nous ne vivons plus au 18e siècle et que notre combat n’est pas contre des hérésies telles que l’hyper-rationalisme du déisme ou la perspective quasi-fataliste de l’hyper-calvinisme. Alors pourquoi lire Andrew Fuller? Dans ce qui suit, j’énonce quatre raisons pour lesquelles la vie et la pensée d’Andrew Fuller sont encore importantes pour notre époque – ou simplement dit, l’importance d’Andrew Fuller.
Les leçons apprises de la conversion de Fuller
Andrew Fuller est né le 6 Février 1754 à Wicken, un petit village soutenu par l’agriculture à Cambridgeshire. Il était le troisième et plus jeune fils de Robert Fuller (1723-1781) et de son épouse Philippa Gunton (1726-1816), qui louaient et travaillaient sur des fermes laitières qu’ils avaient reçues en héritage[8]. Lorsque Fuller avait 7 ans, ses parents ont déménagé dans le village de Soham, qui est à environ 4 kilomètres de Wicken. Une fois installés à Soham, ils se sont joints à l’œuvre Baptiste Calviniste de la localité. Le pasteur impliqué dans ce travail était un certain John Eve (mort en 1782), un hyper-calviniste, ou, comme le dit Fuller, un homme dont les enseignements étaient « teintés de faux Calvinisme[9] ». Plusieurs années plus tard, Fuller se souvenait de la manière dont les enseignements de Eve « n’étaient pas pertinents pour réveiller la conscience » et « n’avaient rien ou presque rien à dire aux inconvertis[10] ». Donc, malgré le fait que Fuller assistait régulièrement aux rencontres baptistes, il accordait peu d’attention aux sermons qu’il entendait.
Mais à l’âge de 14 ans, Fuller a commencé à réfléchir au sens et au but de la vie. Cependant, l’hyper-calvinisme qui flottait dans l’air qu’il avait respiré depuis son jeune âge s’est révélé être un obstacle à sa conversion à Christ. Cette position soutenait que, pour venir au salut par Jésus-Christ, le « gage » disant qu’une personne devait croire qu’elle serait acceptée par Christ était subjectif. La conviction de péché et le tourment mental résultant de cette conviction étaient souvent regardés par les hyper-calvinistes comme étant ce gage. De ce point de vue, ces expériences étaient un signe démontrant que Dieu était dans le processus de convertir les individus qui les expérimentaient. Cette perspective de la conversion était un résultat direct de l’argument disant que les Écritures invitent seulement les pécheurs qui sont conscients de leurs péchés à croire en Christ. La conséquence de cet enseignement était de placer l’essence de la conversion et de la foi non pas dans le fait de croire en l’Évangile, « mais dans la certitude que nos êtres en récolteraient le résultat». Au lieu de tourner son attention vers Christ, le pécheur devait s’examiner intérieurement afin de tenter de trouver des preuves démontrant qu’il ou elle expérimentait le processus de la conversion et faisait partie des élus[11]. Finalement, Fuller a décidé : « Je vais remettre mon âme, pécheresse et perdue, entre ses mains (de Christ) – et si je péris, je péris! » C’est donc en novembre 1769 que Fuller a trouvé la paix avec Dieu et le repos pour son âme troublée, dans le Christ crucifié[12].
Ce qu’il a vécu avant et pendant sa conversion lui a ultimement enseigné trois choses spécifiques concernant la conversion. Premièrement, Fuller a vu l’erreur de persister à dire que seuls les pécheurs qui sont conscients et troublés face à leur état ont l’autorisation ou le droit de venir à Christ. Plus tard, Fuller allait argumenter contre cette perspective en disant que l’exhortation de l’Évangile à croire en Christ est une autorisation suffisante à venir au Seigneur Jésus. Deuxièmement, Fuller a été témoin du fait que la foi authentique est centrée sur Christ et n’est pas un repli sur soi-même afin de voir s’il y a un désir de connaître Christ et d’accepter avec joie son salut. Finalement, Fuller a reconnu que la vraie conversion est enracinée dans un changement radical des affections du cœur et manifestée dans un style de vie qui cherche à honorer Dieu[13]. Cette compréhension de la nature de la conversion véritable comporte encore aujourd’hui une signification vitale.
L’apprentissage de la souveraineté divine et de la responsabilité humaine
Au printemps qui a suivi sa conversion, en 1770, Fuller s’est fait baptiser et s’est joint à l’Église de Soham. Cependant, plus tard dans la même année, l’Église a été amèrement divisée sur la question de savoir si des hommes pécheurs avaient ou n’avaient pas « le pouvoir… de faire la volonté de Dieu et de se garder du péché ». La controverse dans l’Église de Soham sur cette question – que Fuller a plus tard décrite comme étant « le ver et la bile de ma bouche[14] » - a ensuite conduit à la démission du pasteur Eve en octobre 1771. Plus tard, Fuller fit le commentaire que malgré le fait que cette controverse l’avait profondément troublé, ce fut finalement ce qui l’emmena à examiner « les points de vue de vérité divine » qui sont ensuite parus dans ses publications majeures.
En janvier 1774, l’Église lui a demandé de prêcher régulièrement. Seize mois plus tard, il a été ordonné comme second pasteur de l’Église de Soham. Il était responsable d’une assemblée de 47 hommes qui se rencontraient dans une grange louée. Ce n’est qu’un an après que Fuller ait quitté, ayant été appelé à l’Église Kettering Baptist
Church à Northamptonshire, que l’Église a finalement eu les moyens financiers pour construire un lieu permanent.
Durant sa première année de ministère, Fuller était surtout occupé à la lecture et à l’étude. Étant donné que le seul enseignement homilétique qu’il avait reçu était celui d’Eve, il prêchait comme Eve et refusait de pousser les inconvertis à venir à Christ. Mais il était de plus en plus insatisfait du raisonnement hyper-calviniste. Il a commencé à sentir que « ses enseignements étaient anti-bibliques et, de plusieurs manières, déficients». Mais il ne voyait pas de solution facile à ce problème. Il sentait qu’il devait tranquillement se frayer un chemin « hors d’un labyrinthe[15] ».
Pendant ce temps, Fuller se plongeait aussi dans les travaux de deux auteurs baptistes : le renommé évangéliste du siècle précédent, John Bunyan (1628-1688), et John Gill (1697-1771), le doyen du 18e siècle chez les théologiens de Particular Baptist. Fuller trouvait bien des choses utiles dans la théologie systématique de Gill, mais il était profondément troublé par les différences évidentes entre Gill et Bunyan. Ils étaient tous les deux des calvinistes endurcis, mais là où Bunyan recommandait d’offrir librement le salut aux pécheurs, sans distinction, Gill n’était pas du même avis. Fuller est premièrement parvenu à la conclusion erronée que bien que Bunyan soit un « un homme grand et bon », il n’avait pas une compréhension aussi claire que Gill concernant l’Évangile. Par contre, en étudiant les écrits d’autres auteurs du 16e et du 17e siècle, en particulier ceux du théologien puritain John Owen (1616-1683), il a remarqué qu’eux aussi « invitaient librement les pécheurs à venir à Christ pour être sauvés ». En d’autres mots, Fuller a discerné qu’en ce qui concernait l’enseignement, il y avait une différence définitive non seulement entre Bunyan et Gill, mais de manière plus large, entre le Calvinisme du 16e et du 17e siècle et celui du début du 18e siècle.
Afin de l’aider à résoudre cette question concernant l’hyper-calvinisme, Fuller a commencé à écrire un ouvrage qui allait plus tard porter le titre de The Gospel Worthy of All Acceptation (l’Évangile digne de toute acceptation), et cela pour sa propre instruction. Une version préliminaire a été terminée en 1778. Sa version finale a été complétée en 1781. Deux éditions de cet ouvrage ont été publiées durant la vie de Fuller. La première édition, publiée à Northampton en 1785, portait le sous-titre suivant : The Obligations of Men Fully to Credit, and Cordially to Approve, Whatever God Makes Known, Wherein is Considered the Nature of Faith in Christ, and the Duty of Those where the Gospel Comes in that Matter(Les obligations de l’homme de donner un crédit absolu et d’approuver cordialement tout ce que Dieu révèle, où est considérée la nature de la foi en Christ, et la responsabilité de ceux à qui l’Évangile parvient). La seconde édition, publiée en 1801, portrait le sous-titre plus simple : The Duty of Sinners to Believe in Jesus Christ (La responsabilité des pécheurs de croire en Jésus-Christ),un sous-titre qui exprime bien le thème principal du livre. Comme l’a lui-même admis Fuller, il y a des différences substantielles entre la première et la seconde édition (1801). Ces différences touchaient en premier lieu la doctrine de la rédemption particulière. Le thème majeur de cette œuvre demeurait par contre inchangé : « la foi en Christ est la responsabilité de toute personne qui entend, ou qui a l’opportunité d’entendre, l’Évangile ».
Ce livre, qui a marqué son époque, a cherché à être fidèle à l’emphase du Calvinisme historique tout en tentant de n’offrir aux prédicateurs aucune autre alternative que celle de communiquer à leurs auditeurs l’obligation universelle de la repentance et de la foi. Fuller a bien exposé sa position dans un article de la confession de foi qu’il a faite lors de son intégration dans le pastorat de l’Église Baptiste de Kettering, à Northamptonshire, lorsqu’il a quitté Soham en 1783 :
Je crois qu’il est de la responsabilité de tout ministre de Christ de prêcher simplement et fidèlement l’Évangile à tous ceux qui veulent l’entendre; …et qu’il est de leur (les auditeurs) responsabilité d’aimer le Seigneur Jésus-Christ et de mettre en lui leur foi pour obtenir le salut… Je crois donc qu’il faut adresser des instructions, des invitations, des appels et des avertissements, librement et solennellement, non seulement de manière constante, mais d’une manière qui soit directement adaptée, afin d’être un moyen, dans le travail du Saint-Esprit, de les emmener à Christ. Je considère cela comme faisant partie de mon devoir et je ne pourrais pas m’en soustraire sans être responsable du sang des âmes[16].
Ce qui est critique dans la méthode de la recherche de la vérité qu’a employée Fuller dans ces années-là, c’était son biblicisme rigoureux. Comme l’a écrit son ami proche John Ryland (1753-1825) dans son mémoire de Fuller : « Il avait moins de ressources d’hommes ou de livres qu’il aurait pu avoir ailleurs; mais il était obligé de réfléchir, de prier, d’étudier les Écritures, puis de prendre position[17]. » Dans un engagement personnel écrit par Fuller en 1780, il parle de sa « détermination à ne pas adopter de principe seconde-main, mais de chercher toute chose à la fontaine pure de la Parole (de Dieu)[18] ». Fuller n’avait jamais peur de revenir aux Écritures et, sur la base de la parole inhérente de Dieu, de questionner ce qui était considéré comme étant orthodoxe. Cela ne signifiait pas que Fuller ne cherchait pas à apprendre des autres auteurs chrétiens. Nous avons mentionné qu’il lisait les écrits de John Bunyan, John Owen et John Gill. De plusieurs façons, le théologien Américain Jonathan Edwards (1703-1758) était son mentor théologique. Mais la pensée de tous ces hommes était testée à la lumière des Écritures inhérentes.
The Gospel Worthy of All Acceptation a conduit Fuller vers une controverse bien involontaire. Peu de temps après la publication du livre, Fuller a été confronté par les écrits de deux Hyper-Calvinistes de London, William Button (1754-1821) et John Martin (1741-1820). C’est un fait qui mérite d’être noté : malgré leurs attaques contre Fuller, tant Button que Martin ont par la suite entretenu des relations amicales avec lui. Par exemple, Button était un fervent supporteur de la Société Missionnaire Baptiste depuis son jeune âge, et cela jusqu’à sa mort. Quant à Martin, en 1797, il pouvait parler du respect sincère qu’il avait pour Fuller. En écrivant une réponse à Button, Fuller s’est encore fait attaquer par un représentant de l’autre extrémité du spectre théologique, le Général (c'est-à-dire un Arminien) Baptiste Dan Taylor (1738-1816).
Plus tard, Fuller devait décrire sa propre position théologique, que plusieurs ont surnommé le « fullerisme, » comme un « calvinisme strict. » Il cherchait à le différencier de l’hyper-calvinisme, qui était « plus calviniste que Calvin » et « à la limite de l’antinomianisme » ainsi que du calvinisme modéré, qui était essentiellement la perspective théologique du Puritain Richard Baxter (1615-1691) et que Fuller considérait comme étant « semi arménien ». Fuller considérait le calvinisme strict comme étant « le système de Calvin ». La théologie de Fuller, que certains appellent aujourd’hui « le calvinisme évangélique », était aussi celle de son proche ami William Carey ainsi que de son futur admirateur C.H. Spurgeon. Cette théologie était capable de combiner une passion pour le salut des pécheurs et l’avancement missionnaire du Royaume de Dieu avec une confiance profonde en la souveraineté de Dieu.
Les leçons apprises des autres controverses de Fuller
Le rôle critique qu’a joué Fuller dans cette controverse n’excluait pas son engagement dans d’autres aspects vitaux du débat théologique. En 1793, il a publié une réfutation détaillée du socinianisme de Joseph Priestley (1733-1804) – The Calvinistic and Socinian Systems examined and Compared, as to their Moral Tendency (Les systèmes calvinistes et sociniens examinés et comparés en ce qui a trait à leur tendance morale). Les campagnes musclées de Priestley ont eu comme résultat que le socinianisme ou l’unitarianisme, qui niaient la Trinité et la divinité de Christ, sont devenus les formes principales d’hétérodoxie de la dissidence anglaise dans le dernier quart du 18e siècle.
La réfutation du socinianisme par Fuller démontre bien la nature christocentrique de la pensée baptiste du 18e siècle. Fuller a habilement démontré que l’Église primitive avait fait de la dignité divine et de la gloire de la personne de Christ ce qu’il appelait « leur précieux thème. »
Puis, en 1800, Fuller a publié The Gospel Its Own Witness (L’Évangile témoigne pour lui-même), qui a été la réponse définitive des Baptistes du 18e siècle au déisme, en particulier celle de Thomas Paine (1737-1809), qui écrivait des pamphlets. Cette œuvre a été l’une des plus populaires de Fuller, publiée en trois éditions avant 1802 et réimprimée de nombreuses fois durant les 30 années qui ont suivies. Wilberforce considérait cette œuvre comme étant la plus importante de toutes celles de Fuller. Le travail était présenté en deux parties. Dans la première partie, Fuller fait la comparaison et le contraste entre les effets moraux du christianisme et ceux du déisme. La seconde partie du livre vise à démontrer l’origine divine du christianisme à partir de la cohérence générale des Écritures.
Une autre controverse dans laquelle Fuller s’est engagé fut celle contre les sandemaniens, les disciples de Robert Sandeman (1718-1771), qui se distinguaient des autres évangéliques du 18e siècle par leur vision principalement intellectuelle de la foi. Ils ont fait leur réputation par leur principe théologie cardinal voulant que la foi qui sauve est « la simple foi en la simple vérité ». Dans son désir sincère d’exalter la liberté totale du salut de Dieu, Sandeman avait cherché à faire disparaître de la foi salvatrice tout vestige de la raison, de la volonté ou du désir humain. Dans Strictures on Sandemanianism (1810), Fuller souligne plusieurs points importants. Il dit premièrement que si la foi ne vient que de la pensée, il n’y aurait donc aucune manière de distinguer le christianisme authentique du christianisme nominal. Un chrétien nominal consent mentalement aux vérités du christianisme, mais ces vérités ne saisissent pas le cœur afin de changer l’orientation de ses affections. Puis, la connaissance de Christ est une connaissance bien distincte. Par exemple, le connaître implique bien plus que de connaître certaines choses à son sujet, comme le fait qu’il soit né d’une vierge ou les détails de sa crucifixion. Le connaître implique un désir ardent de communier avec lui et de jouir de la douceur de sa présence.
À travers ces trois controverses, pouvant chacune être reliée à l’influence de l’illumination du rationalisme, Fuller s’est révélé comme étant un pasteur-théologien très connecté à la vision de sa culture. Par exemple, Fuller ne dépensait pas son énergie à livrer premièrement des batailles qui avaient occupé plusieurs de ses prédécesseurs puritains du 17e siècle, soit les questions ecclésiologiques. S’il y a une chose que Fuller peut nous enseigner concernant la défense de la vérité chrétienne, c’est que nous devons toujours rester alertes aux défis qui confrontent le christianisme dans nos circonstances particulières.
La piété crucicentrique de Fuller : un mentorat
Finalement, dans une ère où, tant ceux dans l’Église que ceux hors de l’Église, sont fascinés par la spiritualité, la piété de Fuller a beaucoup à nous enseigner. Prenons par exemple sa conviction que la croix se retrouve au centre du christianisme. En 1802, Fuller soutenait que la croix est « le point central dans lequel toutes les lignes de la vérité évangélique se rencontrent et s’unissent. » Tout comme le soleil est absolument vital au maintien du système solaire, ainsi « est la doctrine de la croix au système de l’Évangile; elle en est la vie[19] ». Douze ans plus tard, soit l’année avant sa mort, Fuller a déclaré avec candeur que la mort expiatrice de Christ n’est rien de moins que « le sang qui donne la vie au système de l’Évangile[20] ». Dans une autre perspective, il a comparé la prédication et l’enseignement du Christ crucifié à « un lien en or qui, si relâché, entraîne avec lui toute la chaîne de la vérité évangélique[21] ». En somme, la croix est « la grande particularité et la gloire principale du christianisme, » et devient l’équivalent de l’Évangile même : « la doctrine du salut par le sang de Christ […] est, dans sa noblesse, appelée l’Évangile[22] ».
Puisqu’il a cette vision de la mort de Christ, il n’est donc pas surprenant que Fuller affirme que la doctrine de la croix est ce que « Dieu, dans tous les âges a pris plaisir à honorer. » Dans tous les lieux où l’Église a joui de vitalité et de vigueur spirituelle – « des temps de grand réveil » comme le décrit Fuller – l’œuvre expiatrice de Christ a été exaltée. Fuller souligne que c’était là la doctrine centrale à la Réforme et à laquelle les Réformateurs donnaient une place prédominante. C’était le thème principal des Puritains ainsi que des prédécesseurs spirituels de Fuller, les non-conformistes du 17e et du début du 18e siècle[23]. Durant son époque, les victoires missionnaires des Moraviens dans les Antilles, parmi les Eskimos et particulièrement au Groenland, avaient été des triomphes de la croix : la « doctrine de l’expiation par la mort de Christ […] forme le grand sujet de leur ministère[24]. »
Ainsi donc, si une Église ou une dénomination rejette la doctrine de la croix, elle ne vaut pas bien plus que ce que Fuller appelle carrément « une masse morte, putride. » Si nous nous débarrassons de l’œuvre expiatrice de Christ, « tout le cérémonial de l’Ancien Testament paraît comme n’étant rien de plus qu’une matière morte et sans intérêt : les prophéties perdent tout ce qui les rend intéressantes et chères; l’Évangile est anéanti, ou n’est plus la Bonne Nouvelle pour des pécheurs perdus comme elle se réclame de l’être; la religion est dépouillée de ses motifs les plus puissants, la dispensation évangélique, de la gloire qui la définit, et le ciel, de ses joies les plus profondes[25]. » Par exemple, pourquoi tant de paroisses anglicanes de l’époque de Fuller étaient-elles si peu fréquentées? La réponse évidente, selon Fuller, était que « la majorité du clergé n’enseigne pas la doctrine de la croix […] il n’y a rien dans leur prédication qui intéresse les cœurs, ou qui atteigne les consciences des gens[26]. » La perspective choisie concernant la croix est donc une ligne déterminante entre le christianisme authentiquement biblique et le christianisme nominal.
Nous sommes peut-être des chrétiens de par notre héritage, versés dans le christianisme comme dans une science, capables d’en discuter, de le prêcher, d’écrire pour le défendre; mais si le Christ crucifié ne nous est pas vital comme la nourriture l’est pour celui qui a faim et l’eau pour celui qui a soif, nous sommes des morts vivants. Nous pouvons errer sur d’autres sujets et survivre, comme dans un état d’estropié; mais errer de la sorte est équivalent à une maladie qui s’attaque aux organes vitaux, et dont l’effet est normalement la mort[27].
Par conséquent, dans une lettre que Fuller a écrite en 1796, lorsque la pensée socinienne représentait une menace grave dans les rangs de la dissension anglaise, le pasteur Baptiste a déclaré qu’il ne pouvait pas reconnaître comme étant un frère dans la foi, toute personne qui « ne s’appuie pas sur le sacrifice d’expiation (de Christ) pour être accepté devant Dieu[28] ».
Les écrits de Fuller sont remplis de réflexions sur les bénédictions corroyées par la mort de Christ. Par exemple, il a insisté sur le fait que la croix est le seul chemin par lequel les pécheurs peuvent être réconciliés à un Dieu Saint. Lorsqu’il a été demandé à Fuller, en 1798, de dresser un bref portrait de son pèlerinage spirituel au début de sa vie chrétienne, Fuller a souligné qu’au moment de sa conversion, il avait eu la conviction que « Dieu serait parfaitement juste s’il m’envoyait en enfer, et je devais aller en enfer, à moins que je ne sois sauvé par la grâce seule. » « La grâce seule », a-t-il expliqué, implique la renonciation à « toute fausse confiance » et d’avoir confiance seulement en la mort de Christ pour notre salut. À une autre occasion, il a écrit que déposer sa vie à la croix est « le seul espoir d’un monde perdu, le seul moyen d’être accepté par Dieu, et la seule requête admissible lorsque nous nous approchons de Dieu[29] ».
Ce pasteur baptiste ne s’est jamais fatigué de répéter que la paix intérieure et la purification du cœur des taches du péché qui y demeurent, se trouvent seulement dans la connaissance et l’expérience de Christ crucifié. « Le sang de Jésus est une fontaine ouverte pour le péché et la souillure[30] » a dit Fuller dans ses commentaires sur la scène de Jésus lavant les pieds de ses disciples. C’est aussi uniquement sur la base de la mort de Christ que le Saint-Esprit de Dieu est donné pour habiter dans le cœur du croyant[31]. De plus, c’est à la croix que « les puissances des ténèbres sont dépouillées » que Satan « est écrasé par la descendance de la femme et ses plans sont exposés à la dérision de l’univers[32]». Et dans l’Église, « son sang est le prix de toute notre paix l’un avec l’autre ». Là où nous nous accordons sur la doctrine de la croix, « il y aura de bons rapports et du support les uns envers les autres dans les choses les plus simples[33] ».
Il importe aussi de mentionner qu’à plusieurs reprises, lorsque Fuller était malade et croyait être à l’article de la mort, il a rappelé à ses amis que la seule raison de son espérance était la mort de Jésus à sa place. À l’automne 1801, lorsqu’il était malade à cause d’une « toux presque constante » et « une fièvre presque constante »selon ses mots, il a écrit à un bon ami, John Sutcliff (1752-1814), disant qu’il était calme face à son départ possible.
Mon esprit est calme et assez joyeux. Je sais en qui j’ai cru (2 Timothée 1.12). Je n’ai aucune appréhension au sujet de la position que je détiens : toutes mes appréhensions sont à mon propre égard. Je suis une créature faible, souillée, et j’ai été un serviteur inutile. Je n’ai aucune autre espérance que celle en un Sauveur qui est venu sauver le pire des pécheurs[34].
Onze ans plus tard, alors qu’il était encore gravement malade, il a dit à Sutcliff : « Je n’ai aucune joie, si ce n’est un espoir certain de la vie éternelle sur la base de la mort de mon Sauveur[35]. » Lors de sa mort en 1815, la dernière lettre qu’il a envoyée à son proche ami, John Ryland, exprimait les mêmes sentiments que dans celles écrites à Sutcliff. Après avoir cité une portion de 2 Timothée 1.12, Fuller a continué en disant :
Je suis une créature faible, coupable; mais Christ est un Sauveur tout puissant. J’ai prêché et écrit bien des choses contre les abus à la doctrine de la grâce; mais cette doctrine est tout mon salut et mon désir. Je n’ai aucune autre espérance, si ce n’est celle du salut par une grâce souveraine et efficace, à travers l’expiation de mon Seigneur et Sauveur. Avec cette espérance, je peux entrer calmement dans l’éternité[36].
[1]William Wilberforce: The life of the Great Anti-Slave Trade Campaigner (London: Harper Collins, 2007), 506.
[2]Robert Isaac Wilberforce et Samuel Wilberforce, the life of William Wilberforce (London: John Murray, 1839), III, 388.
[3]Wilberforce and Wilberforce, Life of William Wilberforce, III, 389.
[4]Wilberforce and Wilberforce, Life of William Wilberforce, III, 389. Hague ne fait pas mention de l’amitié entre Wilberforce et Fuller. Ce qui est encore plus frappant c’est que Hague omet de faire mention de William Carey (1761-1834), le plus proche ami de Fuller, particulièrement en considérant l’espace que Hague a réservé pour décrire le rôle de Wilberforce dans l’obtention de la liberté pour les missionnaires anglais d’avoir un ministère en Inde.
[5]Tel que cité par Gilbert Laws, Andrew Fuller: Pastor, Theologian, Rope holder(London: Carey Press, 1942), 127.
[6]Pour voir la réponse de Fuller au déisme, voir The Gospel Its Own Witness (1800); et pour sa réponse au Hyper-Calvinisme, voir The Gospel Worthy of All Acceptation (1785 [1e ed.]; 1801 [2e ed.]).
[7]Pentecost and Missions (Grand Rapids: Wm. B. Eerdmans Publ. Co., 1961), 24.
[8]Andrew Gunton Fuller, “Memoir” in The Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, révisé par Joseph Belcher (edition de 1845; repr. Harrisonburg, VA: Sprinkle Publications, 1988), I, 1. Pour plus de détails sur la famille Fuller, voir Andrew Gunton Fuller, Andrew Fuller (London: Hodder and Stoughton, 1882), 11–12.
[9]Fuller, “Memoir” in Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 2 and 12.
[10]Fuller, “Memoir” in Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 2.
[11]Andrew Fuller, Strictures on Sandemanianism, in Twelve Letters to a Friend dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, II, 563–564.Voiraussi E.F. Clipsham, “Andrew Fuller and Fullerism: A Study in Evangelical Calvinism”, The Baptist Quarterly, 20 (1963–1964), 103.
[12]Fuller, “Memoir” in Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 5–6.
[13]Clipsham, “Andrew Fuller and Fullerism”, 106–107.
[14]Tel que cité par Ryland, Life and Death of the Rev. Andrew Fuller, 355.
[15]Fuller, “Memoir” in Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 13.
[16]Cited A.C. Underwood, A History of the English Baptists (London : Carey Kingsgate Press Ltd., 1956), 163–164.
[17]The Work of Faith, the Labour of Love, and the Patience of Hope, illustrated; in the Life and Death of the Rev. Andrew Fuller (London: Button & Son, 1818), 43.
[18]Life and Death of the Rev. Andrew Fuller, 129.
[19]The Calvinistic and Socinian Systems examined and Compared, as to their Moral Tendency dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, II, 182.
[20]Letters on Systematic Divinity in Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 687.
[21]The Common Salvation in Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 411.
[22]Calvinistic and Socinian Systems dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, II, 181; The Believer’s Review of His State dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 303.
[23]God’s Approbation of our Labours dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 190; The Common Salvation dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 412; Calvinistic and Socinian Systems dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, II, 121; Decline of the Dissenting Interest dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, III, 486.
[24]Calvinistic and Socinian Systems dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, II, 128.
[25]Christian Steadfastness dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 527; Calvinistic and Socinian Systems dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, II, 191–192.
[26]Decline of the Dissenting Interest dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, III, 487.
[27]Letters on Systematic Divinity dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 691.
[28]Agreement in Sentiment the Bond of Christian Union dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, III, 490.
[29]Truth the Object of Angelical Research in Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 665.
[30]Christ Washing the Disciples’ Feet dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 657.
[31]The Future Perfection of the Church dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 251–252; The Gospel Its Own Witness dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, II, 82–83, footnote.
[32]Truth the Object of Angelical Research dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 665.
[33]A Peaceful Disposition dans Complete Works of the Rev. Andrew Fuller, I, 538; Lettre à Christopher Anderson, 26 Mars 1805 (Baptist Missionary Society Archives, Bibliothèque d’Angus, Collège Regent’s Park, Université d’Oxford).
[34]Lettre à John Sutcliff, 1er septembre 1801 (Lettres d’Andrew Fuller, transcrit d’un texte dactylographié, Bibliothèque d’Angus, Collège Regent’s Park, Université d’Oxford).
[35]Lettre à John Sutcliff, May 31, 1812 (Lettre d’Andrew Fuller).
[36]Tel que cité par Ryland, Life and Death of the Rev. Andrew Fuller, 355.