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Qu’est-ce que mourir dans la dignité?

**article de Normand Bédard paru dans La Presse le 19 juin 2012, sous le titre ''C'est ça, la dignité''.

 

J’ai connu quelqu’un qui est décédé de sclérose latérale amyotrophique, une maladie terrible, impliquant une lente dégénérescence physique vers une mort certaine. Ce mal  frappe aveuglément, comme cet athlète exceptionnel qu’était Lou Gehrig, ou cet homme brillant que je connaissais, par ailleurs doté d’une excellente forme physique tout au long de son existence.

Comme il est pénible de voir quelqu’un incarnant la solidité physique et intellectuelle se détériorer au long des mois. Les muscles répondent de moins en moins, la marche doit être accompagnée d’abord d’une canne, puis d’une marchette,  et le jour arrive où la chaise roulante devient indispensable. Plus tard, même la tête ne peut se supporter elle-même. La condition physique devient telle que l’aide des proches pour embarquer dans un véhicule ou dans son lit, et pour manger et se laver, est indispensable. L’usage de la parole se perd. Pourtant, outre la mémoire et la parole, les facultés mentales sont toujours là. La communication peut se faire via un clavier pour un temps, mais n’est éventuellement possible que par le regard.

Cet ami a eu la grâce d’avoir une épouse, des enfants et des amis qui avaient la même conviction que lui devant l’approche de la mort. Il était pasteur. « L'Éternel a donné, et l'Éternel a ôté; que le nom de l'Éternel soit béni ! » Il a fait le choix d’accepter son sort avec courage. Il a décidé de ne pas prendre de mesures particulières (respirateur, tube de gavage) pour prolonger sa vie, mais il a tenu à vivre pleinement les derniers mois qu’il lui restait à vivre.

Il a prié Dieu de lui faire la grâce de voir le mariage de sa fille. De façon étonnante, il a survécu jusqu’à l’approche de ce mariage. Le centre hospitalier où il finissait ses jours a accepté que le mariage ait lieu dans sa chambre d’hôpital, en avant-midi. Immobile mais conscient, Dieu lui a accordé de voir et d’entendre la cérémonie. Il est décédé dans l’après-midi.

Une chose m’est certaine: j’ai vu chez cet homme, malgré l’apparence physique pénible à voir, une belle et grande dignité. Celle d’un humain affrontant la mort avec respect et courage.  Mon ami a choisi, comme Bruno Bonamigo, réalisateur à Radio-Canada, de profiter pleinement de tout le temps qu’il lui restait avec sa famille[1]. Et de leur manifester un amour courageux. 

Ceux qui luttent pour le droit au suicide assisté sont libres de leur opinion, mais leur référence à la dignité me dérange.

Et que penser du nom de la Commission ‘Mourir dans la dignité’ créée par le gouvernement ? Cette appellation dévoile un incontestable biais : la mort ‘volontaire’ est digne. La dignité, c’est de choisir le moment de sa mort. La dignité, c’est le suicide.

Pour ma part, je vois bien davantage de dignité dans le choix courageux de mon ami.

Bien sûr, chacun a une façon personnelle de voir la mort. Mais personne ne peut invoquer la dignité pour justifier le suicide assisté. Cet argument est déplacé, et son utilisation implique un certain mépris envers ceux qui ont fait le choix d’accepter la lente approche de la mort naturelle. Oui, il est pénible de se savoir péricliter sous le regard des autres. Mais la dignité n’est pas le refus du regard des autres, ni le refus d’être en complète dépendance de l’aide des proches. Il y a une grande dignité dans l’acceptation de la souffrance et de la mort.

C’est une chose de réclamer le droit au suicide assisté, mais la référence à la dignité humaine doit être faite avec beaucoup de circonspection. Tous n’ont pas la même vision de ce que c’est et de ce que ça implique.

 

 

[1] www.radio-canada.ca/sujet/sla  

www.radio-canada.ca/nouvelles/sante/2013/08/22/001-bruno-bonamigo-sla-lou-gehrig.shtml

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