
Qu’est-ce que la technologie ?
Voici le premier chapitre du livre Dieu, la technologie et la vie chrétienne de Tony Reinke
Les automobilistes qui traversent le Nebraska ralentissent rarement. Cependant, si vous avez un jour l’occasion de passer par cet état américain connu pour ses décortiqueuses de maïs, prenez le temps de regarder les panneaux publicitaires dans les champs (de maïs, vous l’aurez compris). Vous y apercevrez peut-être mon nom écrit en grand : REINKE. Ce nom est synonyme de technologie agricole. Partout dans le Midwest américain, on trouve ce nom sur des panneaux métalliques reliés à d’énormes systèmes d’arrosage. En effet, mon grand-père et ses cinq frères ont déposé plusieurs dizaines de demandes de brevets. Si certaines de leurs idées relevaient de la pure utopie, d’autres leur ont rapporté plusieurs millions de dollars[1]. Parmi celles qui ont porté leurs fruits, on retrouve des systèmes d’irrigation à pivot central pour les exploitations agricoles, ainsi que des bennes en aluminium pour les semi-remorques.
Rien ne pouvait freiner l’ambition technologique de mon grand-père, pas même le fait qu’il avait quitté l’école à l’âge de 13 ans. En plus d’avoir travaillé comme menuisier, électricien et agriculteur, il a été décoré par les forces armées des États-Unis de la médaille de l’étoile de bronze pour avoir aidé à remanier le système de visée d’un engin antiaérien lors de la Seconde Guerre mondiale[2]. Après la guerre, il voulait moderniser les fermes rurales en transformant des propriétés centenaires construites avant l’arrivée de l’eau courante en maisons alimentées en électricité par des batteries, elles-mêmes rechargées par des moulins à vent en aluminium. Dans son atelier mécanique personnel, il a inventé et fabriqué des échangeurs thermiques en cuivre pour refroidir les moteurs d’irrigation avec l’eau de la nappe phréatique.
En 1978, lorsque le coût de l’électricité s’est envolé, mon grand-père a conçu et fabriqué un moulin à vent en aluminium équipé d’un volant centripète orientant automatiquement les lames selon la vitesse du vent. Cela permettait de générer de l’électricité que le vent soit fort ou faible[3]. Il était fasciné par l’aluminium. Juste pour le plaisir, il a fabriqué un violon en aluminium ; le premier que j’ai entendu de ma vie (et fort heureusement, c’était aussi le dernier)[4]. Lorsque l’heure de la retraite a sonné pour mon grand-père, j’étais au lycée. Il a nettoyé son atelier et m’a fait don d’un tas de projets en aluminium qu’il avait abandonnés. J’ai mis des semaines à enlever à l’air comprimé les milliers de rivets en aluminium que comportaient ces structures en fer, mais ce travail en valait la peine. À la fin de l’été, le recyclage du tas de rivets cassés et de débris de ferraille m’a permis d’empocher 1 000 dollars, une somme qui servirait ensuite à payer une partie de mes études universitaires. Ce dur labeur m’a surtout permis de toucher du doigt les restes des rêves ambitieux de mon grand-père.
Les Reinke ont l’innovation dans le sang. Cela dit, de manière générale, chaque être humain est profondément lié à la technologie. L’histoire de l’humanité, c’est l’histoire de la technologie. Pensez au prophète Daniel qui a identifié différents royaumes successifs par des métaux dominants : l’or, l’argent, l’airain, le fer ou un mélange de fer et d’argile[5]. Notre division de l’histoire humaine est similaire : l’âge de pierre, l’âge du bronze, l’âge du fer, l’ère nucléaire, l’ère informatique. Aujourd’hui, nous vivons dans l’ère technologique. Cette épopée de l’innovation inclut chacun d’entre nous, et chaque arbre généalogique a sa part d’inventivité.
Ma génération de Reinke vit dans une ère bien particulière, une ère technologique en accélération constante. Alors que mon grand-père, à ma connaissance, n’a jamais touché un ordinateur de sa vie, il se pourrait que je sois un jour, pour ma part, biologiquement relié à un super-processeur. Et alors que mon père, lui aussi très inventif, a été fasciné par l’atterrissage sur la lune étant plus jeune, je connaitrai sans doute au cours de mon existence l’avènement de vols commerciaux à destination de cet astre rocheux. Aujourd’hui, je peux placer un peu de ma salive dans un tube, l’envoyer dans une enveloppe, et recevoir une cartographie complète de mon patrimoine génétique et de mes prédispositions héréditaires. Il n’est pas impossible que mes arrière-petits-enfants vivent sur la planète Mars. J’ai été témoin de changements incroyables pendant les quarante premières années de mon existence, et, Dieu voulant, je verrai des changements plus extraordinaires encore au fil des quarante prochaines années – voire des cent prochaines années, si j’en crois les prophètes de l’espérance de vie.
La vie de mon grand-père était différente de la mienne. Lui innovait sur son exploitation agricole, dans son atelier ; et moi, dans mon domicile en périphérie d’une grande ville, je passe mon temps à écrire, entouré par la technologie. Alors que j’écris ces mots, un aspirateur robot se heurte à mon pied, s’arrête, tourne, se heurte à un autre obstacle, s’arrête, tourne et se heurte à un troisième obstacle, modifiant régulièrement son trajet, comme une tortue aveugle, pendant qu’il nettoie la moquette de mon bureau. À l’instar de mon droïde-aspirateur, les robots spécialisés et automatisés sont capables d’accomplir une tâche à la quasi-perfection, mais une tâche seulement. Les robots télécommandés capables de faire détoner une bombe sont synchronisés avec d’autres robots de service semi-autonomes. Des laboratoires scientifiques de renom travaillent sur des robots prototypes ressemblant à des chiens et à des humains. Et aux extrêmes de l’industrie robotique, on trouve des robots sexuels inhumains et des robots armés programmés pour tuer. Dans les prochaines années, nous verrons sans doute émerger les premiers robots entièrement autonomes : les voitures sans conducteur.
Nous entrons dans une révolution technologique imprévisible. De ce fait, les chrétiens devraient réfléchir à la relation entre Dieu et la technologie, ainsi qu’aux origines des gadgets que nous utilisons. Parmi toutes les technologies qui existent, quelles sont celles qui sont utiles ? Destructrices ? Comment pourrons-nous marcher par la foi dans les années à venir ? Commençons par une question plus fondamentale encore : qu’est-ce que la technologie ?
Qu’est-ce que la technologie ?
La technologie, c’est de la science appliquée et de l’énergie amplifiée. C’est à la fois un art, une méthode, un savoir-faire, des formules et de l’expertise. Le terme « technologie » a pour racine « techn- » ou « technique ». Nous amplifions l’énergie dont nous disposons naturellement grâce à de nouvelles techniques. Noé et les animaux ne pouvaient pas nager assez longtemps pour survivre à un déluge mondial, alors Dieu a conçu une arche. Les gens de Babel ne pouvaient pas vivre dans le ciel, alors ils ont construit une tour. De nos jours, les ascenseurs du centre de Dubaï emmènent les habitants jusque dans la stratosphère. À l’époque biblique, Jacob et ses fils creusaient des puits à l’aide de simples pelles, plus tard les compagnies de chemin de fer utilisaient de la dynamite pour faire passer des rails dans les montagnes, et aujourd’hui des tunneliers de la taille d’un dinosaure percent des galeries souterraines pour y faire passer des millions de câbles de télécommunication. Le téléphone intelligent fait passer les explosions électriques de notre cerveau jusque dans nos pouces, puis dans notre téléphone portable, en les transformant en une série numérique de 1 et de 0 dans des messages envoyés aux quatre coins du monde.
La technologie intensifie notre dextérité, accroit notre influence et dynamise nos faibles intentions de départ. Aucune innovation n’amplifie aussi puissamment nos aptitudes que la puce informatique. Si l’on considère l’influence qu’elles exercent malgré leur poids insignifiant, on peut déclarer sans l’ombre d’un doute que ces petites puces électroniques qui ne pèsent presque rien sont les objets les plus puissants de tout l’univers. Si l’on exclut les explosions cosmiques et les bombes nucléaires qui déploient toute leur énergie en un éclair, « de toutes les choses durables de l’univers – des planètes aux étoiles, des pâquerettes aux automobiles, du cerveau à l’œil humains – celle qui est capable de conduire la plus haute densité de puissance, c’est-à-dire la plus grande quantité d’énergie dans un gramme de matière par seconde, se trouve au cœur de votre ordinateur portable ». En effet, ce minuscule microprocesseur « conduit davantage d’énergie par seconde et par gramme dans ses couloirs microscopiques que tous les animaux, tous les volcans, et même davantage que le soleil lui-même ». La puce informatique est « la chose la plus active au niveau énergique dans tout l’univers connu[6] ».
Alors que j’écris ces mots, Apple vient de dévoiler « la puce M1, la plus puissante que la société ait jamais créée », avec « pas moins de 16 milliards de transistors[7] ». Étant équipés d’un élément aussi puissant, les iPhone et MacBook nous offrent des possibilités infinies, pour le meilleur et pour le pire. Qu’allons-nous faire d’un tel pouvoir ?
Les techniques dont nous disposons aujourd’hui ne datent toutefois pas d’hier. Dans le texte biblique, lorsque le bon Samaritain aperçoit un Juif mourant, il se met rapidement à l’action : il bande ses plaies, applique un traitement local, hisse l’homme sur sa propre monture tel un sac de marchandises, puis l’emmène jusqu’à une auberge, où il dépense une partie de l’argent qu’il a gagné au marché afin que l’aubergiste continue de prendre soin du pauvre homme juif[8]. C’est l’histoire de l’amour en action à travers la technique. L’écrivain et paysan Wendell Berry explique que mettre l’amour en action, ce n’est pas faire « un simple sourire, comme un geste de bienfaisance abstraite envers notre prochain ». Il ajoute que notre amour doit plutôt…
… s’exprimer par des actions, qui elles-mêmes proviennent de compétences. La véritable charité exige l’étude des pratiques de gestion des sols agricoles, de l’ingénierie, de l’architecture, de l’exploitation minière, de l’industrie, du transport, de la création de monuments et d’images, de chansons et d’histoires. La véritable charité nécessite non seulement des compétences, mais aussi l’étude et la critique de ces compétences, parce qu’un choix s’impose pour chacune d’entre elles, le choix de l’utiliser ou non au service de la charité[9].
Nous nous aimons au travers de l’art, des compétences, de la technologie.
L’histoire de l’humanité témoigne de la manière dont nous avons appris à nous aimer davantage les uns les autres en perfectionnant nos compétences. Au Ve siècle, Saint Augustin méditait sur les différentes façons dont nous mettons nos talents au service de la société. Il louait l’intellect des pécheurs déchus que nous sommes, ce « génie naturel de l’homme » resté intact et qui le rend capable de créer des inventions remarquables (certaines nécessaires, et d’autres beaucoup moins). Saint Augustin dressa la liste des innovations qui lui semblaient notables ; il commença par le textile, l’architecture et la navigation. Puis il rendit hommage aux sculpteurs, aux peintres, aux compositeurs et aux producteurs de théâtre. Il tourna son attention vers la nature et sur toutes les manières dont les êtres humains capturent, tuent ou dressent les animaux sauvages. Ensuite, il pensa aux médicaments qui préservent et restaurent la santé de l’homme, sans oublier les armes qui servent à défendre un pays en temps de guerre. Après cela, il loua « les variétés infinies de condiments et de sauces que l’art culinaire a découvertes afin de multiplier les plaisirs du palais ». Puis, il salua tous les moyens que l’humanité a inventés pour parler, écrire et communiquer, de la rhétorique aux poèmes, des romans aux paroles de chants. Il fit ensuite l’éloge des musiciens, de leurs instruments et de leurs chansons, puis celle des mathématiciens et des astronomes. Saint Augustin pouvait ainsi choisir n’importe quelle discipline scientifique, l’explorer de bout en bout et être subjugué par l’ingéniosité de l’homme. Mais au-delà de toutes les inventions humaines, nous célébrons « ce Dieu qui a fait l’homme animal raisonnable, composé d’âme et de corps » et qui règne sur toute sa création par les « lois de sa providence[10] ».
Tout ce que Saint Augustin mentionne ici (même les condiments et les sauces) se rapporte aux sciences appliquées, c’est-à-dire à la technologie. En 1829, Jacob Bigelow a publié un livre dont le titre inclut des termes relativement nouveaux à l’époque : Elements of Technology (Les éléments de la technologie). Cet ouvrage célèbre les avancées technologiques dans les domaines de l’écriture, la peinture, la sculpture, l’architecture, la construction, le chauffage, la ventilation, l’éclairage, les roues, les machines, le textile, la métallurgie et la conservation des aliments. Toutes ces avancées appartiennent au domaine de la technologie – « un terme suffisamment expressif qui […] commence à être rétabli dans la littérature des hommes pratiques de notre époque[11] ».
Ce terme s’est imposé. Le mot « technologie » fait désormais partie de notre vocabulaire et désigne tous les outils à notre disposition. Nous innovons au travers de compétences. Nous concevons de nouvelles techniques. La technologie a toujours été essentielle à ce que nous sommes – de l’ère du lance-pierre à celle du fusil semi-automatique.
Une histoire de technologie bien connue
Nos technologies peuvent être primitives ou avancées. Cette distinction me rappelle l’histoire de David et Goliath, deux technologistes qui s’affrontent en 1 Samuel 17.4-40. Voici comment l’histoire commence (les armes avancées sont présentées dans les versets 4 à 11) :
4Un homme sortit alors du camp des Philistins et s’avança entre les deux armées. Il se nommait Goliath, il était de Gath, et il avait une taille de six coudées et un empan. 5Sur sa tête était un casque d’airain, et il portait une cuirasse à écailles du poids de cinq mille sicles d’airain. 6Il avait aux jambes une armure d’airain, et un javelot d’airain entre les épaules. 7Le bois de sa lance était comme une ensouple de tisserand, et la lance pesait six cents sicles de fer. Celui qui portait son bouclier marchait devant lui. 8Le Philistin s’arrêta ; et, s’adressant aux troupes d’Israël rangées en bataille, il leur cria : « Pourquoi sortez-vous pour vous ranger en bataille ? Ne suis-je pas le Philistin, et n’êtes-vous pas des esclaves de Saül ? Choisissez un homme qui descende contre moi ! 9S’il peut me battre et qu’il me tue, nous vous serons assujettis ; mais si je l’emporte sur lui et que je le tue, vous nous serez assujettis et vous nous servirez. » 10Le Philistin dit encore : « Je jette en ce jour un défi à l’armée d’Israël ! Donnez-moi un homme, et nous nous battrons ensemble. » 11Saül et tout Israël entendirent ces paroles du Philistin, et ils furent effrayés et saisis d’une grande crainte.
Goliath était un géant, un champion et un guerrier d’élite, équipé de la tête aux pieds des meilleures armes qu’il avait pillées aux quatre coins du monde antique. La technologie de guerre dont il disposait reposait sur un équipement composé de pièces de qualité supérieure qu’il avait amassées au fil des années en tant que guerrier professionnel.
Du côté des Israélites, celui qui ressemblait le plus à un géant, c’était Saül. En effet, il dépassait d’environ une tête tous les autres[12]. Il était également leur premier roi, et donc le guerrier tout naturellement désigné pour combattre Goliath. Toutefois, Saül était effrayé et manquait de confiance en Dieu. C’est donc un jeune berger qui, par la foi, a pris sa place et affronté le géant.
32David dit à Saül : « Que personne ne se décourage à cause de ce Philistin ! Ton serviteur ira se battre avec lui. » 33Saül dit à David : « Tu ne peux pas aller te battre avec ce Philistin, car tu es un enfant, et il est un homme de guerre dès sa jeunesse. » 34David dit à Saül : « Ton serviteur faisait paître les brebis de son père. Et quand un lion ou un ours venait en enlever une du troupeau, 35je courais après lui, je le frappais, et j’arrachais la brebis de sa gueule. S’il se dressait contre moi, je le saisissais par la gorge, je le frappais, et je le tuais. 36C’est ainsi que ton serviteur a terrassé le lion et l’ours, et il en sera du Philistin, de cet incirconcis, comme de l’un d’eux, car il a insulté l’armée du Dieu vivant. » 37David dit encore : « L’Éternel, qui m’a délivré de la griffe du lion et de la patte de l’ours, me délivrera aussi de la main de ce Philistin. » Et Saül dit à David : « Va, et que l’Éternel soit avec toi ! »
Goliath avait l’habitude de tuer des hommes au combat. C’était son rôle depuis des années ; il était un guerrier païen éduqué à donner la mort, un Terminator antique au corps enveloppé de métal et dont la force était décuplée par la technologie. Il était équipé d’une armure de la plus haute qualité et d’armes mortelles – le tout adapté à sa taille et conçu pour amplifier la puissance innée dont il jouissait déjà. Dans ce récit, comme dans d’autres batailles de l’Ancien Testament, le peuple de Dieu semble bien mal préparé à affronter une armée comme celle des Philistins – une armée infiniment plus puissante sur le plan technologique.
Par conséquent, lorsque David, le jeune berger juif, s’est porté volontaire pour combattre le puissant soldat philistin, il était sage de vouloir l’équiper lui aussi pour le combat. Le garçon a donc essayé la tenue militaire du roi.
38Saül fit mettre ses vêtements à David, il plaça sur sa tête un casque d’airain, et le revêtit d’une cuirasse. 39David ceignit l’épée de Saül par-dessus ses habits, et voulut marcher, car il n’avait pas encore essayé. Mais il dit à Saül : « Je ne puis pas marcher avec cette armure, je n’y suis pas habitué. » Et il s’en débarrassa. 40Il prit en main son bâton, choisit dans le torrent cinq pierres polies, et les mit dans sa gibecière de berger et dans sa poche. Puis, sa fronde à la main, il s’avança contre le Philistin.
Le problème fondamental ici, c’est que David et Goliath étaient inégaux en termes de potentiel de puissance. Dans les guerres de l’Antiquité, l’armée la plus petite partait perdante. Le combat se gagnant par la force, et c’était généralement l’armée la plus grande qui l’emportait sur la plus petite. Qu’il soit question de l’énergie cinétique cumulée de soldats de terre armés d’une épée, de la férocité de chars tirés par des chevaux, de l’énergie potentielle élastique projetant des flèches depuis un arc bandé, du potentiel explosif de la poudre propulsant une balle de fusil ou de l’énergie déployée à l’intérieur d’un missile balistique, la victoire appartient au camp qui libère le plus d’énergie. En termes de potentiel énergétique, Goliath était sans pareil ; il était une arme de dynamisme de masse, une petite armée à lui seul.
Souhaitant rétablir l’équilibre entre les deux combattants et augmenter le potentiel de puissance de David, Saül revêtit le jeune berger de sa propre technologie de guerre. Il considérait qu’une armure et une épée donneraient davantage de puissance à David ; le problème, comme l’explique le verset 39, c’est que David n’était pas habitué à combattre. Il lui manquait la technique. Et sans la technique, la technologie avancée de guerre ne servait à rien. Elle ne pouvait alors pas assumer la fonction pour laquelle elle avait été conçue, à savoir amplifier l’énergie et la puissance humaines.
David préféra donc s’équiper d’une technologie qui lui était familière. Contrairement à ce qu’avancent certaines interprétations erronées de ce texte qui opposent la foi à technologie, David possédait les deux. Il avait la foi en Dieu et la technologie. Le tournoiement de sa fronde est un excellent exemple de technique : David amplifie et concentre l’énergie inanimée de son bras pour lancer une pierre polie. La fronde de David fut l’une des premières avancées dans la riche histoire de la technologie. Cette histoire a débuté avec les leviers et les poulies qui servaient à amplifier l’énergie animale et humaine. Elle a continué avec des sources d’énergie inanimée plus efficaces comme l’eau (la roue hydraulique), le vent (le moulin à vent), le feu et le charbon (la machine à vapeur), l’électricité, les combustibles fossiles, ainsi que l’énergie nucléaire. Le fil conducteur de l’innovation humaine, c’est notre capacité à découvrir des sources d’énergie plus puissantes, à les concentrer, les stocker, puis les déployer dans des démonstrations de puissance de plus en plus stupéfiantes.
Dans ce face-à-face antique, l’inégalité technologique n’est pas exactement en faveur de celui que nous croyons. Goliath arrive avec une technologie adaptée à la ligne de front dans un combat rapproché contre des ennemis multiples. Quant à David, il arrive au combat tel un tireur d'élite. Si David sait viser, c’est lui qui aura l’avantage. C’est lui, le maître en technologie. Sa technologie est plus primitive, et elle inutile dans un combat rapproché, mais lancer un projectile à cette distance s’avèrera être une technique bien meilleure. Cette technique, néanmoins, est discrète – suffisamment simpliste pour que sa foi reste l’élément central lors de la confrontation. David lance ainsi au géant : « Tu marches contre moi avec l’épée, la lance et le javelot ; et moi, je marche contre toi au nom de l’Éternel des armées, du Dieu de l’armée d’Israël, que tu as insultée » (1 S 17.45).
Vous connaissez la fin de l’histoire. David vise juste. La pierre s’enfonce dans le front de Goliath. Le géant s’effondre. David s’empare de l’épée de Goliath et met un terme au duel[13]. Cette épée deviendra celle de David[14]. Après ce combat, David s’habituera rapidement aux armures, aux boucliers et aux armes de guerre[15].
Concrètement, cette bataille épique ne nous dit rien sur le rôle positif ou négatif de la technologie, et elle ne nous indique pas lequel des deux combattants possédait les meilleures technologies. Le but du récit est de démontrer qu’entre les dieux du géant philistin et le Dieu vivant de David, c’est le Dieu de David qui est victorieux. La force de Dieu se manifeste dans la faiblesse de David. C’est le but. Quel que soit le rôle de la puissance et de l’innovation humaines dans ce récit, ces éléments ne sont qu’anecdotiques.
Pourtant, cette histoire nous donne un exemple simple et profond de deux niveaux différents d’avancée technologique : avant-gardiste ou rudimentaire. Tous deux exigent de la technique. Tous deux reposent sur des technologies. Tous deux amplifient la puissance de leur utilisateur.
Le technium
Si nous avons du mal à apprécier la technologie de ce combat antique, c’est parce que la puissance à laquelle nous avons accès aujourd’hui éclipse les frondes et les épées. De plus, les anciennes sources d’énergie animée (comme les chevaux et les bœufs) sont ridiculement faibles comparées à nos sources d’énergie inanimées modernes et concentrées (comme le gaz et l’électricité). Nous concentrons de l’énergie dans des réservoirs de carburant, des batteries et des réacteurs nucléaires. Mais ce que j’espère vous prouver dans ce livre, c’est que toutes ces avancées ne sont que les chapitres d’une histoire bien plus grande.
Ces chapitres se suivent comme autant d’étapes. Dans un premier temps, les technologies amplifiaient et canalisaient l’énergie animée. Pensez au conducteur d’une calèche qui, grâce à un fouet en cuir, convertissait l’énergie des chevaux en un mouvement circulaire des roues qui permettait au char d’avancer. Ensuite, les êtres humains ont eu le contrôle direct de sources d’énergie inanimée. Pensez au conducteur d’une camionnette alimentée par un moteur à essence. Ces énergies nous conduisent à une troisième étape : il existe aujourd’hui des systèmes semi-autonomes capables de fonctionner sans une intervention humaine continue. Pensez aux voitures électriques de notre ère, qui fonctionnent « sans chauffeur » (mais requièrent malgré tout la supervision d’un conducteur humain). Les technologies de la Bible se situent toutes à la première étape. Nos vies modernes, cependant, sont un mélange de ces trois étapes – des cuillères, des perceuses sans fil, des climatiseurs équipés de thermostats.
Mises ensemble, toutes les énergies dont nous disposons font de nous des magiciens. Nous pouvons accélérer le mouvement de notre corps dans l’espace en nous asseyant dans une voiture qui roule à 110 kilomètres à l’heure. Nous pouvons voler en montant dans un avion qui avance à 925 kilomètres à l’heure. Nous pouvons tirer une balle d’arme à feu qui fend l’air à une vitesse de 2 735 kilomètres à l’heure. Avec le simple contact de nos doigts sur un écran, nous pouvons envoyer un message numérique à mille personnes, à la vitesse de la lumière. Le pouvoir que nous avons au bout de doigts est réellement remarquable.
Pourtant, un défi de taille se profile à l’horizon. Nos technologies individuelles se transforment en un écosystème technologique dont nous ne parvenons pas à nous échapper. Nous sommes entrés dans une ère où les merveilles technologiques sont tellement interconnectées qu’elles revêtent des caractéristiques de l’évolution biologique – un septième règne dans la nature, un écosystème unifié et renforcé. Kevin Kelly, le cofondateur du magazine Wired, a qualifié ce système de technium. La technologie est devenue « un système de création auto-amplificateur » et « autorenforçateur » ; elle a atteint un point où « notre système d’outils, de machines, et d’idées est devenu si dense en boucles de rétroactions et en interactions complexes qu’il a engendré un brin d’indépendance[16] ».
À l’intérieur de ce technium, des machines plus anciennes aux puissances variables sont consolidées et forment de nouvelles machines. Tous ces anciens pouvoirs sont ajoutés à des pouvoirs plus récents et plus puissants. Kevin Kelly explique à ce sujet :
… ces associations ressemblent à un accouplement. Elles produisent un arbre généalogique de technologies ancestrales. Comme dans l’évolution darwinienne, de minuscules progrès sont récompensés par un nombre plus important de copies ; ainsi, les innovations se propagent constamment dans la population. Des idées anciennes convergent et donnent naissance à des idées nouvelles. Non seulement les technologies forment des écosystèmes d’alliés qui se soutiennent mutuellement, mais elles forment également des lignées évolutionnaires. Le technium ne peut réellement être considéré que comme un type de vie évolutionnaire[17].
Notons en passant que de nombreux chrétiens trouvent dans le darwinisme une explication aux origines de la vie biologique[18]. Ce n’est pas mon cas[19]. Cependant, je crois que Kelly a raison d’utiliser la théorie de l’évolution comme une métaphore pour représenter l’ère de la technologie. Nos machines s’accouplent et consolident leurs forces. Les superordinateurs et les robots avancent lentement mais sûrement vers l’intelligence autonome ; peut-être progressent-ils vers une ère dans laquelle les ordinateurs et les robots seront capables de s’améliorer sans notre aide.
Dans des termes évolutionnistes, chaque innovation future sera produite en recondensant ou en recombinant une succession d’innovations anciennes pour en créer de nouvelles. Les innovations de la première génération deviennent des innovations sans cesse renouvelées dans l’avenir. Au fil du temps, elles se développent ensemble pour former ce qui ressemble à un organisme unifié. Kelly explique qu’au bout du compte…
… ce réseau (interconnecté, circulaire et étendu à l’échelle mondiale) de systèmes, sous-systèmes, machines, tuyaux, routes, câbles, tapis convoyeurs, automobiles, serveurs et routeurs, codes, calculateurs, senseurs, archives, activateurs, mémoire collective et générateurs électriques – cet ensemble étrange et grandiose d’éléments interconnectés et interdépendants forme un seul système[20].
Rares sont les technologies que l’on peut extraire chirurgicalement de ce technium. Alors, que faire ?
Deux réponses sont possibles : la dystopie ou l’utopie.
D’un côté, ceux qui se disent religieux ont souvent tendance à être des dystopiens de la technologie, des pessimistes qui considèrent le technium comme une reconstruction de Babel. L’humanité est unie dans son rejet de Dieu, dans une évolution technologique que Dieu ne peut pas – ou plutôt ne veut pas – stopper, jusqu’au jour où il interviendra pour réduire en cendres l’intégralité de ce processus. La réaction logique, pour ceux qui ont la foi, serait de quitter la ville menacée par les flammes pour se joindre aux amish (une communauté chrétienne connue pour vivre à l’écart des technologies modernes et des influences du monde extérieur).
D’un autre côté, les darwinistes et les post-humanistes imaginent souvent un monde dans lequel l’humain et la machine fusionnent en une seule existence, nous rapprochant inexorablement d’une utopie céleste. Ils attendent avec impatience le produit d’une technologie capable de « raccorder tous les esprits des êtres vivants, enveloppant ainsi la planète d’un manteau vibrant de nerfs électroniques, permettant à des continents entiers de machines de converser ensemble[21] ». Cette vision, c’est Babel 2.0, une Babel nouvelle et améliorée, une humanité réunie et enrichie par l’innovation et la puissance des machines lui donnant la capacité d’exister par elle-même pour l’éternité.
Je me situe entre ces deux extrêmes ; je ne suis ni dans la dystopie ni dans l’utopie. Je suis plutôt un créationniste convaincu par la Bible, attaché à la théologie réformée, et persuadé que Dieu, dans sa providence, orchestre toute chose. Je suis un citadin préoccupé par les motivations égoïstes de la Silicon Valley, mais aussi un optimiste vis-à-vis de la technologie, prêt à expérimenter les possibilités futures qui s’offriront à nous. Cependant, quel que soit mon regard sur le progrès technologique, une révélation me ramène à la réalité : l’histoire de la technologie va prendre une mauvaise direction, et cela finira mal. Le reste de cet ouvrage s’emploiera à expliquer pourquoi.
Le chemin à parcourir
Ce livre est une table ronde à laquelle prendront place neuf figures historiques. Cette rencontre sera encadrée par neuf passages clés des Écritures. Mon objectif est de renverser douze mythes répandus au sujet de la technologie.
Voici une brève présentation de chacune des neuf personnes qui prendront la parole au fil du livre.
Jean Calvin (1509-1564) était un réformateur français, un théologien renommé et un créationniste. Il a donné naissance à un élan international célébrant la construction de villes, la création de la culture et les découvertes scientifiques de non-chrétiens. Il appelait les chrétiens à une vie de dur labeur et de frugalité et a mis un terme « au stigma religieux et social attaché à l’opulence[22] ». En apportant la paix entre la foi et la science, il a ouvert la porte aux chrétiens souhaitant s’engager dans une démarche scientifique pour l’adoration de Dieu et l’amour envers leur prochain.
Charles Haddon Spurgeon (1834-1892) était un pasteur britannique, un baptiste réformé, un créationniste, et l’un des prédicateurs chrétiens les plus connus de l’histoire de l’Église. Passionné par les innovations de pointe de son époque, il est demeuré centré sur Christ et exposait sans détour ces buts que la technologie ne pourrait jamais atteindre.
Abraham Kuyper (1837-1920) était un néo-calviniste néerlandais, un théologien et un journaliste. Il a également été Premier ministre des Pays-Bas. Créationniste convaincu, il a adopté la vision du monde de Calvin, l’a poussée jusqu’aux extrémités de l’optimiste, et a célébré la grâce commune de l’avenir scientifique de l’homme.
Herman Bavinck (1854-1921) était un néo-calviniste néerlandais, un théologien mondialement reconnu, et un créationniste qui, sur la base de la vision de Calvin, a développé une approche prudente à l’égard de l’innovation. Il a identifié les défis spirituels des technologies du passé, de son époque et du futur.
Jacques Ellul (1912-1994) était un philosophe français et un chrétien pessimiste vis-à-vis de la technologie, convaincu que chaque innovation générait davantage de problèmes que de solutions. Il s’est opposé à la technocratie économique et politique qui contredisait directement le discipulat chrétien.
Wendell Berry (1934-) est un romancier et essayiste américain. C’est un conservationniste réputé pour sa défense de la vie rurale et son hostilité à l’encontre des géants de la technologie. Sa position conservationniste s’exprime à travers une vision du monde chrétienne, bien que celle-ci soit parfois quelque peu légère sur le plan doctrinal.
Kevin Kelly (1952-) est un des cofondateurs américains du magazine Wired, un conservationniste, et un journaliste aux premières loges de la technologie américaine depuis des décennies. C’est un optimiste de la technologie dans sa vision, mais un minimaliste de celle-ci dans son application – un style de vie emprunté à la communauté amish. Kelly est un darwiniste. Il affirme avoir fait l’expérience d’une conversion religieuse et il réconcilie Dieu avec la technologie au travers d’un théisme ouvert (une position selon laquelle Dieu regarde avec un vif intérêt ce que nous inventerons dans l’avenir).
Elon Musk (1971-) est un milliardaire américain, un entrepreneur excentrique et un technologiste. Il est le fondateur de quelques-unes des entreprises les plus ambitieuses des États-Unis telles que Tesla, Space et Neuralink. S’il promeut l’exploration spatiale et vise la colonisation de Mars, il reste plus connu pour ses projets réussis dans le domaine de l’électricité et des voitures autonomes. À la question : « La science et la religion peuvent-elles coexister ? », il a répondu : « Probablement pas[23] ». Musk défend l’hypothèse de la simulation, selon laquelle nous ne vivons pas à l’intérieur de la réalité de base, mais plutôt dans l’un des nombreux programmes de simulation de type Matrix conçus par une intelligence supérieure.
Yuval Noah Harari (1976-) est un professeur d’histoire israélien, un inconditionnel athée et un auteur à succès surnommé « l’historien du futur ». Darwiniste convaincu, sa vision de la technologie est dystopique et orwellienne. Il cherche à réveiller l’humanité par deux prédictions, qui prennent la forme de deux religions. La première est le technohumanisme, qui envisage un monde de super-humains génétiquement modifiés et améliorés par de nouvelles capacités informatiques. La seconde est le dataisme, qui soutient que l’autorité ultime réside dans l’être informatique le plus puissant – anciennement homme, il deviendra bientôt intelligence artificielle (I. A.).
En plus d’un échange avec ces neuf voix (ainsi que quelques autres), ce livre s’articule autour de l’étude de neuf passages clés des Écritures : Genèse 4.1-26 ; 6.11-22 ; 11.1-9 ; 1 Samuel 17.1-58 ; Job 28.1-28 ; Psaumes 20.2-10 ; Ésaïe 28.23-29 ; 54.16,17 et Apocalypse 18.1-24. Nous pourrions ajouter bien d’autres textes bibliques, mais ceux-ci me paraissent fondamentaux.
Alors que nous allons plonger dans ces passages importants des Écritures, permettez-moi de vous demander une faveur. En tant que lecteurs, nous avons tendance à survoler les citations en retrait (je le fais aussi). S’il vous plaît, abandonnez cette habitude en lisant ce livre. Faites l’effort de lire attentivement chaque texte en retrait.
Au fil de notre réflexion, je soulignerai les points importants à retenir et dissiperai les mythes sur la technologie les plus répandus dans l’Église, à ma connaissance. Nous nous pencherons plus particulièrement sur les douze mythes suivants :
Mythe 1 : L’innovation humaine est une injonction inorganique imposée sur l’ordre créé.
Mythe 2 : Les êtres humains imposent les limites et les possibilités technologiques à la création.
Mythe 3 : L’innovation humaine est autonome, illimitée et incontrôlée.
Mythe 4 : Il n’y a pas de rapport entre Dieu et les progrès de l’innovation humaine.
Mythe 5 : Les inventeurs non chrétiens ne peuvent pas accomplir la volonté de Dieu.
Mythe 6 : Dieu communiquera les innovations les plus bénéfiques au travers de chrétiens.
Mythe 7 : Les êtres humains peuvent libérer une puissance technologique qui est hors du contrôle de Dieu.
Mythe 8 : Les innovations sont bonnes tant qu’elles sont utiles d’un point de vue pragmatique.
Mythe 9 : Dieu gouverne seulement les technologies vertueuses.
Mythe 10 : Dieu n’envisageait pas l’invention du iPhone lorsqu’il a créé le monde.
Mythe 11 : La découverte de la puissance nucléaire constitue une erreur humaine qui n’était pas dans le plan de Dieu.
Mythe 12 : L’épanouissement chrétien dépend de mon adoption ou de mon rejet du technium.
La foi et la physique
Avant même l’époque des Lumières, la science et l’Église ont souvent été amies. Elles ont aussi parfois été ennemies, et cette tension n’a pas toujours été provoquée par la science. C’est malheureux que la foi et la physique soient parfois en conflit, étant donné que, dans une vallée verdoyante de l’Israël antique, David, un homme de Dieu, s’est servi de l’un et l’autre en même temps. Pouvons-nous apprendre à faire de même ? Pouvons-nous vivre une vie de foi au sein d’un monde où les ressources de l’homme sont décuplées ? Est-il envisageable que confiance en Dieu et assistance technique se complètent ?
Le technocrate agnostique voit Dieu comme un obstacle à la progression et au développement de la technologie. Le chrétien agraire voit la technologie comme un obstacle à la progression et au développement de la foi. La réalité, c’est que l’optimiste et le pessimiste de la technologie sous-estiment Dieu l’un comme l’autre. Même les formes de christianisme les plus favorables à l’inventivité et au monde matériel peinent à se positionner face aux téléphones intelligents, à l’exploration spatiale ou à la médecine génétique.
Les chrétiens réfutent le gnosticisme. En Christ, nous célébrons le monde matériel : le café fraîchement moulu, les arbres fruitiers en fleur, le pain tout juste sorti du four, le beurre tendre, le miel succulent. La nature, les jardins, les rayons du soleil, les jeux, le rire sont des cadeaux dans lesquels nous devrions trouver du plaisir – ainsi que la danse, les cérémonies de mariage, et les relations sexuelles dans le cadre du mariage. Mais devrions-nous aussi célébrer le téléphone intelligent, le microprocesseur et l’énergie nucléaire ? Devrions-nous célébrer quelque chose qui se branche au réseau électrique ?
Les croyants sabotent parfois des conversations pourtant réfléchies relatives à la technologie. Comment ? En balayant l’innovation humaine d’un revers de la main, en employant des mots liés à la domination (tels que « technopole ») et d’autres se terminant par « -isme » (comme « technicisme », « scientisme » ou « économisme »).
Je suis d’avis qu’une discussion nouvelle est nécessaire, et ce livre représente mon effort dans ce sens. Dans mon ouvrage précédent, j’ai abordé le thème de la vie chrétienne au sein de l’économie de l’attention[24]. Avant cela, j’ai écrit un ouvrage sur les téléphones intelligents, et sur la manière dont la technologie numérique change nos vies, dans lequel j’ai présenté en une dizaine de pages les grandes lignes de ma compréhension du monde technologique au travers des Écritures[25]. Au fil des années qui ont suivi, ce résumé sur le sujet a engendré des conversations animées, et j’ai compris qu’il me faudrait développer ces grandes lignes dans un autre livre. Voici donc ma « -logie » de la technologie, ma théologie biblique de la technologie.
Parmi les titres auxquels j’ai pensé pour le livre que vous tenez entre les mains, il y avait Manuel de technologie moderne pour les chrétiens optimistes. La technologie est loin d’être toute rose, mais elle n’est pas toute noire non plus. Je défendrai donc ici une vision plus positive de l’innovation et des innovateurs humains. En tant qu’optimiste de la technologie, j’ai conscience que ce livre se vendrait mieux s’il constituait une mise en garde alarmiste et apocalyptique expliquant que Satan a détourné le réseau électrique, qu’il nous contrôle à travers notre téléphone intelligent et qu’il veut implanter en chacun de nous la marque de la bête sous forme numérique. Je vous vendrais alors un vaste complot associé à la théologie d’un dieu impuissant qui ne sait pas quoi faire. Je placerais dans ce cas le futur du monde entre vos mains et vous désignerais comme notre seul espoir. J’attirerais ainsi votre attention sur la nouvelle technologie la plus effrayante, afin que vous ignoriez les richesses des avancées technologiques remarquables qui embellissent votre quotidien. Je terminerais par un appendice détaillant comment creuser un bunker pour créer une communauté rurale et hors réseau. Aussi, je rédigerais le livre entier en lettres majuscules. La peur fait vendre, après tout. Toutefois, ma théologie, c’est-à-dire ce que je sais du Créateur glorieusement souverain et de sa création stupéfiante, m’interdit d’attiser cette peur. Voilà pourquoi je suis optimiste – et ce, en raison de la confiance que je place, non pas en l’homme, mais en ce Dieu qui gouverne chaque centimètre carré de la Silicon Valley.
Dans les pages qui suivent, j’étendrai ma recherche au-delà des médias et des téléphones intelligents pour trouver des réponses qui ont échappé à notre monde, de la tour de Babel jusqu’aux fusées de SpaceX. « La technologie est, en réalité, l’une des parties les plus complètement connues de l’expérience humaine », selon le théoricien technologiste Brian Arthur. Celui ajoute à ce propos : « Pourtant, nous en savons peu concernant son essence – sa nature profonde[26]. » C’est tout aussi vrai dans l’Église qu’en dehors de celle-ci. Les innovations humaines représentent-elles une menace pour Dieu ? Diminuent-elles sa pertinence dans notre vie ? Quelle relation Dieu entretient-il avec la Silicon Valley et la Silicon Alley ? Quel est son lien avec nos innovateurs les plus avant-gardistes ? Dieu est-il menacé par le technium ? D’où viennent nos technologies et nos gadgets ? Que peuvent faire les technologies pour nous ? Et, à l’inverse, que ne pourront-elles jamais faire pour nous ? Quelle place la technologie peut-elle prendre dans la vie d’un chrétien sans que cela soit excessif ?
Nous avons besoin de réponses.
[1] Susan Harms, « Area Reinkes Are Brothers of Invention » [Les Reinke locaux sont les frères de l’invention], Hastings Daily Tribune, s. d., s. p.
[2] Tout ce que je sais du « M5A1 Director », un dispositif de pointage et de visée de 40 millimètres, provient de la description qu’en donne le capitaine Kirby M. Quinn dans l’article « Gunning for War Birds » [Les armes des oiseaux de guerre], Popular Mechanics Magazine, vol. 60, no6, Hearst Magazines, décembre 1933, p. 801-804.
[3] Claire Hurlbert, « Davenport Man Plugs into Nebraska’s Wind Power » [Un homme originaire de Davenport maximise l’énergie du vent du Nebraska], Hastings Daily Tribune, 26 août 1978,.
[4] Il n’était pas le seul, apparemment. En décembre 1933, Popular Mechanics Magazine vante les mérites des basses de violons en aluminium, déclarant que leur « qualité tonale est comparable, voire supérieure aux basses en bois de la plus haute qualité » (p. 805, trad. libre). J’ai des doutes sur ce point, mais les instruments en aluminium étaient une ambition culturelle à son époque.
[5] Daniel 2.31-45
[6] Kevin Kelly, What Technology Wants [Ce que veut la technologie], trad. libre, New York, N. Y., Penguin, 2011, p. 59-60.
[7] « Apple lance la puce révolutionnaire M1 », communiqué de presse du 10 novembre 2020, < https://www.apple.com/fr/newsroom/2020/11/apple-unleashes-m1/ > (page consultée le 26 août 2024).
[8] Luc 10.30-37.
[9] Wendell Berry, Essays 1969–1990 [Essais 1969-1990], trad. libre, Jack Shoemaker, éd., New York, N. Y., Library of America, 2019, p. 525.
[10] Saint Augustin, La cité de Dieu, livre V, L. Moreau, trad., Paris, Jacques Lecoffre et compagnie, 1854, p. 263-264.
[11] Jacob Bigelow, Elements of Technology [Les éléments de la technologie], trad. libre, Boston, Mass., Hilliard, Gray, Little and Wilkins, 1829, p. iv.
[12] 1 Samuel 9.2 ; 10.23.
[13] 1 Samuel 17.50,51.
[14] 1 Samuel 21.7-9.
[15] 1 Samuel 18.4,5 ; 25.13.
[16] Kevin Kelly, What Technology Wants, p. 11, 12, 38.
[17] Ibid., p. 45.
[18] Voir Francis S. Collins, The Language of God: A Scientist Presents Evidence for Belief [Le langage de Dieu : un scientifique présente des preuves en faveur de la foi], New York, N. Y., Free Press, 2007, p. 85-107. Collins affirme que l’évolution, « en tant que mécanisme, peut être et doit être vraie » (p. 107). Il déclare que, sans elle, « la biologie et la médecine seraient incompréhensibles » (p. 133). Pour une meilleure perspective sur la question, voir Theistic Evolution: A Scientific, Philosophical, and Theological Critique [L’évolution théiste : une critique scientifique, philosophique, et théologique], J. P. Moreland, Stephen C. Meyer et al., éd., Wheaton, Ill., Crossway, 2017.
[19] Voir Michael J. Behe, La boîte noire de Darwin : l’intelligent design, Paris, Presses de la Renaissance, 2009 ; The Edge of Evolution: The Search for the Limits of Darwinism [Le seuil de l’évolution : à la recherche des limites du darwinisme], New York, N. Y., Free Press, 2007 ; Darwin Devolves: The New Science about DNA That Challenges Evolution [Darwin rétropédale : les découvertes scientifiques récentes sur l’ADN qui remettent en cause l’évolution], San Francisco, Calif., HarperOne, 2019 ; A Mousetrap for Darwin [Un piège à souris pour Darwin], Seattle, Wash., Discovery Institute, 2020.
[20] Kevin Kelly, What Technology Wants, trad. libre, p. 8-9.
[21] Kevin Kelly, What Technology Wants, p. 358.
[22] Alister E. McGrath, A Life of John Calvin: A Study in the Shaping of Western Culture [La vie de Jean Calvin : une étude du façonnage de la culture occidentale], trad. libre, Hoboken, N. J., Wiley-Blackwell, 1993, p. 219-261.
[23] SoulPancake, « Elon Musk Captured by Rainn Wilson ! » [Elon Musk capturé par Rainn Wilson !], trad. libre, < https://www.youtube.com/watch?v=Ns0IHCj2q-E&list=PLzvRx_johoA-HwuP429ZWOTsa84S60x9H&index=10 > (page consultée le 28 août 2024).
[24] Tony Reinke, La guerre des spectacles : chérir Christ à l’ère des médias, Trois-Rivières, Éditions Cruciforme, 2020.
[25] Tony Reinke, Génération smartphone : 12 façons dont le téléphone vous transforme, Lyon, Éditions Clé, 2018, p. 27-39.
[26] W. Brian Arthur, The Nature of Technology: What It Is and How It Evolves [La nature de la technologie : définition et évolution], trad. libre, New York, N. Y., Penguin, 2009, p. 13.